Formation: Comment fournir des soins de santé mentale antiracistes

Comment fournir des soins de santé mentale antiracistes
 
« Dans une société raciste, il ne suffit pas d'être non-raciste, nous devons être antiracistes » - Angela Davis

             Quand nous avons écrit le projet portant sur la santé mentale des communautés noires au Canada à la fin de l’année 2018, les sessions de formation sur les enjeux raciaux pour les professionnels de la santé mentale devraient se tenir à partir d’avril 2021. Toutefois, alors que nos recherches avançaient et nous planifions de lancer une campagne de sensibilisation et de mobilisation des communautés noires sur les enjeux liés à la santé mentale (Campagne Savoir pour Prévenir) ; et une autre pour renforcer la capacité des communautés noires à soutenir la résilience des jeunes ayant fait face ou faisant face à des problèmes de santé mentale (Causeries dans la cité), les manifestations liées à l’assassinat de Georges Floyd ont tout changé. En effet, les organismes communautaires de tout le Canada ont été sollicités au-delà de leur capacité par des jeunes des communautés noires en quête de soins en santé mentale. En plus des jeunes, des adultes ayant vécu leur jeunesse au Canada ont été nombreux à solliciter les organismes communautaires parce que les images de la mort de Georges Floyd et de Ahmaud Arbery les ont rappelés des épisodes traumatiques vécus. Certains, même ne voulant pas de soins en soi, se sont questionnés sur la normalité des pensées envahissantes liées aux expériences passées de discrimination raciale, à la suite du visionnement des images et aux manifestations qui s’en sont suivies. Mais ce qui a été surtout marquant est la réticence de ces jeunes d’aller voir des professionnels de la santé mentale non-noirs parce qu’ils estiment qu’ils seraient incompris, stigmatisés et recevaient des soins inadéquats et culturellement inadaptés. Ces faits nous ont poussés à finaliser cette formation afin d’aider les professionnels de la santé mentale du Canada et d’autres pays à être plus conscients des enjeux raciaux dans toutes les composantes des soins de santé mentale incluant l’évaluation, la médication, les psychothérapies, ainsi que les interventions auprès des enfants, des adolescents et des  familles.

Au Canada, il est reconnu depuis longtemps déjà que les professionnels de la santé mentale (psychologues, psychiatres, médecins de famille, travailleurs sociaux, infirmières, etc.), incluant ceux-là même issus des communautés racisées, ne sont pas assez formés sur les enjeux raciaux. C’est un fait qui n’est pas le seul problème du Canada, car les cultures occidentales sont majoritairement aveugles sur les enjeux liés à la couleur de la peau. Pour exemple, en France, les statistiques ethniques sont interdites, aux États-Unis, malgré l’effort de nombreux chercheurs noirs, les services sont souvent développés pour le groupe majoritaire, alors que les chercheurs canadiens peinent encore à trouver un consensus pour évaluer les origines ethniques. Quand nous avons écrit le projet dans lequel est réalisé cette formation, nous n’avions aucune connaissance que les enjeux raciaux prendraient autant de place dans l’actualité en 2020, ni que la pandémie de la COVID-19 allait montrer toutes les disparités sociales, économiques et sanitaires existant dans les communautés noires. Toutefois, ce que nous avons su, c’est qu’en absence des caméras ou des pandémies, les personnes noires vivaient différentes formes de discriminations raciales pouvant avoir des effets négatifs sur leur santé mentale. Derrière l’exaspération, la détresse psychologique, l’anxiété et l’hypervigilance causées par le profilage racial de la police ou la non-utilisation des services de santé par les jeunes noirs, à cause du regard jugé peu bienveillant de personnels médicaux, il y a surtout une souffrance humaine. Plus que quiconque, le professionnel de la santé mentale est bien placé pour en tenir compte et l’adresser. Mais quand il n’est pas formé à le faire, l’évitement devient facile, à défaut de se risquer. Mieux encore, on se dit qu’on n’est pas soi-même raciste et qu’on offrirait les mêmes soins aux personnes quelle que soit leur couleur de peau, sans savoir que le racisme impacte trop fortement la vie des personnes noires et des autres communautés racisées pour être traité à l’aveugle.

Nous avons développé cette formation pour répondre aux besoins des personnes issues des communautés noires comme ce jeune noir ayant fait une tentative de suicide après avoir été traité de « Macaque allant s’acheter une banane » par un agent de police d’une grande ville du Canada, alors qu’il vivait une forte dépression et sortait de chez lui après des semaines pour avoir été refusé pour une deuxième fois par trois universités en médecine. Nous avons développé cette formation pour répondre à l’anxiété, au stress et l’hypervigilance des jeunes noirs face aux policiers et qui participent de leur santé mentale. Nous l’avons aussi développé pour répondre aux besoins de ces jeunes qui vivent du racisme dans les écoles, mais également ceux dans les universités qui souvent ont tendance à former des groupes de travail entre noirs, par peur d’être rejetés ou discriminés par les autres étudiants. Voilà pourquoi cette formation débute par la conscientisation des professionnels de la santé mentale sur les enjeux raciaux. Ce premier module vous procurera tous les outils nécessaires pour comprendre les enjeux raciaux, évaluer son propre positionnement et être conscient des différents biais et enjeux raciaux dans les soins en santé mentale. Le second module traite du processus d’évaluation et offre différents issus permettant de tenir compte des enjeux et des différentes formes de préjudices raciaux. Ce module procure également les spécificités de la mise en œuvre d’une évaluation transdiagnostique antiraciste, présente des mesures pour évaluer les discriminations raciales et leurs impacts et les instruments culturellement adaptés, ainsi que les stratégies pour réaliser des évaluations culturellement adaptées. Le module 3 présente des considérations que tout professionnel de la santé mentale devrait savoir afin d’aider tout le système ainsi que les psychiatres et d’autres médecins à avoir une approche humaniste de la médication. Le module 4 aborde les enjeux raciaux en psychothérapies et fournit les éléments nécessaires afin de procurer des soins culturellement adaptés aux personnes issues des communautés noires. Le cinquième et dernier module traite des spécificités des soins auprès des enfants et des adolescents des communautés noires, en prenant en considération la famille et les aspects culturels.

Basée sur des données probantes, cette formation a une visée transthéorique et intégrative et adresse les besoins des professionnels de la santé mentale pour mieux comprendre les besoins des personnes issues des communautés noires et leur offrir des soins antiracistes. Les soins de santé mentale antiracistes sont proactifs dans le sens qu’ils adressent les enjeux raciaux, sans attendre qu’ils soient amenés par les clients ou les patients. « Les soins antiracistes vont au-delà des soins transculturels ; ils intègrent à la fois des aspects culturels et des éléments qui permettent une certaine forme de réparation des dommages causés par la discrimination raciale, le profilage racial, les microagressions raciales et le racisme. ».

Pour finir, nous aimerions remercier tous ceux et celles qui ont participé à la recherche documentaire et le montage de la formation incluant nos coordonnatrices de recherche (Pari-Gole Noorishad et Saba Hajizadeh), nos étudiantes au doctorat et stagiaires postdoctoraux. Nous aimerions également remercier toutes les personnes des communautés noires et les nombreux organismes communautaires qui nous ont confié leurs expériences à différents niveaux dans les soins, ainsi que les professionnels de la santé de mentale qui ont pris le temps de nous communiquer leurs besoins. Alors que nous vous invitons à lire l’article publié dans « The Lancet Psychiatry » et qui présente les grandes lignes de cette formation, nous voulons que vous sachiez qu’elle participe à établir l'équité dans les soins en réduisant les disparités, en renforçant la confiance dans les systèmes de soins, en humanisant les traitements et en redonnant espoir aux personnes issues des communautés noires. Les psychiatres, les psychologues, les travailleurs sociaux et les infirmières travaillant dans le domaine de la santé mentale doivent reconnaître qu'il ne suffira jamais d'être non racistes ; ils doivent s'engager à être antiracistes à travers des soins qui facilitent la justice sociale, plutôt que d'approuver un système raciste et déshumanisé.

Jude Mary Cénat, Ph.D.
Assumpta Ndengeyingoma, Ph.D.
Cary Kogan, Ph.D.

La formation comprend les étapes suivantes